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#1 Le 18/02/2021, à 22:12

P'skhal
Explorateur
Lieu : Au-delà du portail
Inscription : Le 18/08/2016,
Messages : 37 482

Enseignement : du rire aux larmes

Cyrille a écrit :
Au commencement, PROCEDURE DIVISION

Notre histoire commence en 2003, je suis développeur en prestation pour BNP Paribas chez Logica CMG, je pisse des lignes de COBOL pour reprendre l’expression consacrée. Il est intéressant pour toi public de savoir que ça commence à être tendu à cette époque dans les SSII, la BNP suite à de mauvais placements, la fin du bug de l’an 2000 commence à dégraisser ses informaticiens. Grâce à la prestation de service elle peut dégraisser en quelques mois à peine, 50% de sa masse d’ingénieurs. Il faut savoir aussi que déjà à cette époque, 2003 tout de même, la maîtrise d’ouvrage commence à envoyer son code en Inde pour sous-traiter, parce que c’est moins cher. Comme je te l’ai déjà dit ce serait de l’imposture que de raconter ce que c’est devenu, je n’en ai aucune idée, le développement c’est du passé.

Être développeur c’est passionnant, c’est une activité qui te force à te transcender intellectuellement, je pense que quand tu as réussi à corriger un bug ou faire un truc sympa c’est certainement l’équivalent d’un shoot de dopamine. Les gens sont formidables, et je pèse mes mots, j’ai rencontré des gens drôles, intéressants, passionnés, vivants ce qui n’est absolument pas le cas de l’enseignement où tu rencontres quand même beaucoup d’imbéciles et d’aigris, c’est certainement le métier qui fait ça. Seulement c’est un peu comme tout dans la vie, ce que femme veut, le mari a intérêt à le faire. Nous sommes natifs du sud de la France, nous sommes seuls, la région parisienne n’est absolument pas faite pour nous. Les opportunités dans le Mainframe sont inexistantes ou presque en province, Lyon, Toulouse, Sofia Antipolis, à peine un peu à Montpellier mais dans la crise que nous traversons à cette époque c’est un emploi d’enseignant dans le Cantal qui va me faire entrer dans le métier.

Bonjour, veaux, vaches et cochons !

Je réponds donc à une annonce dans laquelle on cherche un prof de maths compétent en informatique. J’explique que j’ai une maîtrise de sciences physiques, on me répond que vu le niveau ça ne posera pas de problème. L’enseignement professionnel… De l’enseignement professionnel, j’ai des souvenirs terribles de l’enfance. C’était la menace au collège et ce dès la cinquième, les « nuls » on les envoyait en CAP, en apprentissage. À cette époque, donc courant des années 80, on dirait du Sardou, on avait l’intelligence de comprendre qu’un gosse qui était à bout, il valait mieux pour lui quitter rapidement le système scolaire pour trouver sa voie et s’épanouir au plus vite. Aujourd’hui la prison dure jusqu’à la fin de troisième sous prétexte d’avoir un socle universel de connaissances, quand j’ai des élèves de 14, 15 ans qui ne savent ni lire ni écrire. De l’enseignement professionnel, j’ai des souvenirs méprisants, comme toutes les personnes qui ont fait des études générales, à fortiori scientifiques. La moralité c’est que lorsque tu rentres dans une salle de classe pour la première fois, tu as l’impression d’entrer dans un coupe gorge. Les idées qu’on se fait, la réalité, deux mondes bien différents. J’ai passé huit ans dans le Cantal, avec du recul je ne qualifierai pas cette période d’heureuse professionnellement, riche certainement, mais difficile. Le Cantal c’est une terre qui crève, et pour essayer de la faire exister les gens essaient de la faire vivre avec des bouts de ficelle, de la sueur et des larmes. Mon ancien établissement a fini par fermer faute d’élèves.

Les élèves parlons-en. Ce public que je croyais violent, idiot, est un public magnifique. Des gueules cassées de l’éducation nationale, des gamins brisés par le système qui sont ravis de saisir la main d’enseignants atypiques, qui ne portent pas de jugements, qui essaient simplement de contribuer à leur réussite. J’ai eu de véritables témoignages d’affection, j’ai communiqué pendant de très nombreuses années avec ces élèves de l’époque, certains sont même venus me voir chez moi dans le sud en bord de mer. Il y avait à cette époque encore une reconnaissance, plus que de la fonction d’enseignant mais de ces hommes et de ces femmes qui tendent la main pour te sortir de la merde.

Nous sommes natifs du sud de la France et même si le Cantal n’est qu’à 3h30 de la route, nous restons esseulés, loin de nos familles. On rajoutera accessoirement que quand tu viens du sud nettoyer cinquante centimètres de neige devant ta porte, c’est contre nature. Plus sérieusement, l’éloignement mais aussi la précarité de la vie sur place, l’avenir de mon établissement qui était déjà engagé nous pousse à partir, en tout cas à essayer car à cette époque les places dans le sud sont rares.

La suite du billet sur le Blog Libre


“ Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain „

P'skhal

#1 Le 18/02/2021, à 22:12

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Au commencement, PROCEDURE DIVISION

Notre histoire commence en 2003, je suis développeur en prestation pour BNP Paribas chez Logica CMG, je pisse des lignes de COBOL pour reprendre l’expression consacrée. Il est intéressant pour toi public de savoir que ça commence à être tendu à cette époque dans les SSII, la BNP suite à de mauvais placements, la fin du bug de l’an 2000 commence à dégraisser ses informaticiens. Grâce à la prestation de service elle peut dégraisser en quelques mois à peine, 50% de sa masse d’ingénieurs. Il faut savoir aussi que déjà à cette époque, 2003 tout de même, la maîtrise d’ouvrage commence à envoyer son code en Inde pour sous-traiter, parce que c’est moins cher. Comme je te l’ai déjà dit ce serait de l’imposture que de raconter ce que c’est devenu, je n’en ai aucune idée, le développement c’est du passé.

Être développeur c’est passionnant, c’est une activité qui te force à te transcender intellectuellement, je pense que quand tu as réussi à corriger un bug ou faire un truc sympa c’est certainement l’équivalent d’un shoot de dopamine. Les gens sont formidables, et je pèse mes mots, j’ai rencontré des gens drôles, intéressants, passionnés, vivants ce qui n’est absolument pas le cas de l’enseignement où tu rencontres quand même beaucoup d’imbéciles et d’aigris, c’est certainement le métier qui fait ça. Seulement c’est un peu comme tout dans la vie, ce que femme veut, le mari a intérêt à le faire. Nous sommes natifs du sud de la France, nous sommes seuls, la région parisienne n’est absolument pas faite pour nous. Les opportunités dans le Mainframe sont inexistantes ou presque en province, Lyon, Toulouse, Sofia Antipolis, à peine un peu à Montpellier mais dans la crise que nous traversons à cette époque c’est un emploi d’enseignant dans le Cantal qui va me faire entrer dans le métier.

Bonjour, veaux, vaches et cochons !

Je réponds donc à une annonce dans laquelle on cherche un prof de maths compétent en informatique. J’explique que j’ai une maîtrise de sciences physiques, on me répond que vu le niveau ça ne posera pas de problème. L’enseignement professionnel… De l’enseignement professionnel, j’ai des souvenirs terribles de l’enfance. C’était la menace au collège et ce dès la cinquième, les « nuls » on les envoyait en CAP, en apprentissage. À cette époque, donc courant des années 80, on dirait du Sardou, on avait l’intelligence de comprendre qu’un gosse qui était à bout, il valait mieux pour lui quitter rapidement le système scolaire pour trouver sa voie et s’épanouir au plus vite. Aujourd’hui la prison dure jusqu’à la fin de troisième sous prétexte d’avoir un socle universel de connaissances, quand j’ai des élèves de 14, 15 ans qui ne savent ni lire ni écrire. De l’enseignement professionnel, j’ai des souvenirs méprisants, comme toutes les personnes qui ont fait des études générales, à fortiori scientifiques. La moralité c’est que lorsque tu rentres dans une salle de classe pour la première fois, tu as l’impression d’entrer dans un coupe gorge. Les idées qu’on se fait, la réalité, deux mondes bien différents. J’ai passé huit ans dans le Cantal, avec du recul je ne qualifierai pas cette période d’heureuse professionnellement, riche certainement, mais difficile. Le Cantal c’est une terre qui crève, et pour essayer de la faire exister les gens essaient de la faire vivre avec des bouts de ficelle, de la sueur et des larmes. Mon ancien établissement a fini par fermer faute d’élèves.

Les élèves parlons-en. Ce public que je croyais violent, idiot, est un public magnifique. Des gueules cassées de l’éducation nationale, des gamins brisés par le système qui sont ravis de saisir la main d’enseignants atypiques, qui ne portent pas de jugements, qui essaient simplement de contribuer à leur réussite. J’ai eu de véritables témoignages d’affection, j’ai communiqué pendant de très nombreuses années avec ces élèves de l’époque, certains sont même venus me voir chez moi dans le sud en bord de mer. Il y avait à cette époque encore une reconnaissance, plus que de la fonction d’enseignant mais de ces hommes et de ces femmes qui tendent la main pour te sortir de la merde.

Nous sommes natifs du sud de la France et même si le Cantal n’est qu’à 3h30 de la route, nous restons esseulés, loin de nos familles. On rajoutera accessoirement que quand tu viens du sud nettoyer cinquante centimètres de neige devant ta porte, c’est contre nature. Plus sérieusement, l’éloignement mais aussi la précarité de la vie sur place, l’avenir de mon établissement qui était déjà engagé nous pousse à partir, en tout cas à essayer car à cette époque les places dans le sud sont rares.

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